La force de l'Art
Par Olympe le 24/04/2009, 13:23 - Lien permanent
Les femmes du groupe d’action féministe La Barbe se sont attaquées pour la seconde fois au secteur artistique : La Force de l’Art, exposition phare de la décennie, est entièrement conçue par des hommes, qui n’ont consacré qu’une place insignifiante aux œuvres féminines.
Leurs barbes postiches bien en place, les activistes ont déroulé leur banderole devant Madame la ministre Christine Albanel à l’occasion du vernissage de l’exposition puis félicité les organisateurs de cette 2ème édition de La Triennale de l’Art Français, devant la presse et le gratin culturel parisien :
« Le Ministère de la Culture et de la Communication, le Centre National des Arts Plastiques et la Réunion des Musées Nationaux ont judicieusement confié l’organisation de l’exposition à une équipe composée exclusivement d’hommes. Comment mieux assurer la reproduction, pardon !, la continuité et la pérennité du grand Art, qu’en confiant cette mission difficile à une virile assemblée ! »
Les barbues se sont ensuite émues auprès de Madame la Ministre et des commissaires de l'exposition de la présence de 7 femmes parmi les 42 artistes mis en avant. « Le génie créatif est masculin, on ne le répétera jamais assez. Quant aux femmes, chacun sait que c’est dans la maternité qu’elles réalisent leur vocation , dans la décoration de nos intérieurs que s’exprime leur talent, et dans le rôle délicieux de muses des grands hommes que leur génie s’épanouit. Pourquoi bouleverser cette belle harmonie ? »
Acceptant volontiers la Barbe qui lui était tendue, Christine Albanel a déclaré être « très sensible au sujet ».
**************** L'Art en Chiffres:
En 2004, sur les 1052 oeuvres achetées par l'Etat, 54 ont été réalisées par des femmes, soit un pourcentage de 5%
Dans les collections détenues par les FRAC en 2007, on trouve 79% d’artistes hommes . Mais si l’on compte le nombre d’oeuvres de femmes il n’y en a que 11,5% (28 558 / 247 721 oeuvres). En d’autres termes, lorsqu’un FRAC s’intéresse à un artiste homme, il lui achète en moyenne 14 oeuvres ; s’il s’intéresse à une artiste femme, il en achète moins de 7.
En 2000, dans les collections du Musée National d’Art Moderne (centre Georges Pompidou), 83% des artistes sont des hommes (3 032 / 3 660), mais seulement 7,5% des oeuvres achetées ont été créées par des femmes. Cela signifie que le musée achète le double d’oeuvres en moyenne à l’artiste lorsque il est un homme.. En outre, on peut voir exposées dans les salles des collections 5% d’oeuvres de femmes, le même chiffre qu’avant la Révolution française aux Salons de l’Académie.
Artprice a produit avec la FIAC1 2008 Le rapport annuel sur l'art contemporain 2007-2008. Dans ce top 500 des ventes mondiales d’art contemporain du 1er Juillet 2007 au 30 Juin 2008, sur les deux cent premières ventes, on compte 92% d’oeuvres d’hommes.
On y trouve une seule femme parmi les neuf artistes français, à la 436ème place, qui est la photographe Bettina Rheims.
Publié une fois l’an dans la revue économique allemande Capital, le Kunst Kompass se présente comme une échelle de notoriété des 100 meilleurs artistes vivants qui oeuvrent sur la scène artistique internationale. Kunst Kompass (pouvant être traduit par Boussole de l’art en Allemand), sert de référence aux collectionneurs et investisseurs internationaux qui le consultent depuis 30 ans. Selon cet indicateur, aucune femme n'arrivait dans les 10 premiers artistes en 1970. L’édition 2006 nous donne une femme à la 9ème place, une française à la 60ème place, et 80% d’hommes. Source : La barbe Photo
Commentaires
Olympe: dans "Une chambre à soi" Virginia Woolf explique pourquoi Shakespeare n'aurait pas pu être une femme de son époque, et pour quoi au début du vingtième siècle les femmes pouvaient difficilement être écrivains, par ce qu'elles n'avaient pas "de chambre à soi".
Pourquoi y a-t-il moins de femmes artistes, peintres, musiciennes, etc ?
Pourquoi, alors que maintenant les femmes sont plus libres dans les pays occidentaux, n'y en a-t-il pas davantage ?
Est- ce qu'il y a des artistes de talents qui ne sont pas reconnues comme telles, pas prises au sérieux sur le marché de l'Art à cause de l'habitude qu'on a de ne considérer comme majeur, comme possiblement majeur, qu'un homme ?
Ou bien ne veulent-elles pas, ne sont elles pas assez intéressées ?
C'est logique d'attirer l'attention sur ces derniers chiffres, mais est-ce que ce n'est pas un peu mécanique de demander une parité, parité de quoi ?
Est-ce qu'on regarderait différemment les oeuvres de peintres, sculpteurs femmes si on les croyait réalisées par des hommes ?
Suzanne, je ne suis pas vraiment compétente en matière artistique , mais je suppose que le coktail est le même que partout ailleurs. Les femmes se mettent moins en avant, on accorde moins de valeur à ce qu'elles disent ou font, et on se réfère toujours aux mêmes donc ceux qui sont déja en place, donc les hommes
Il en est des artistes femmes comme des actrices de cinéma: elles sont d'avance, d'entrée, moins cotées que les hommes. Environ 1/3 de moins parce que femmes. Et pour cette meme raison, leur travail, leurs oeuvres, sont moins reconnus. Elles ne bénéficient pas non plus du réseau relationnel dont jouissent les hommes, réseaux qui privilégient les hommes. Les hommes s'aiment entre eux, exercent pour eux, s'estiment entre eux, dans un monde dans lequel il n'y a pas de place pour les femmes.
Il est plus facile de trouver une "modèle" à la mode, ou qui va etre "recherchée" ou "lancée" (par un artiste homme) et qui va faire "carrière" (c'est à dire qui symbolisera "l'éternel féminin" selon ce que les hommes pensent des femmes ou veulent voir en elles), qu'une femme artiste.
Floreal, je suis tout a fait d'accord
Didier Goux, "Un artiste est, par nature, un individualiste, qui se fout bien de vos petites statistiques", possible mais les hommes s'en foutraient ils moins que les femmes . si les artistes sont individualistes ou des reveurs ça n'explique pas la différence H/F
Ce qui explique la différence, dans ce domaine comme dans les autres, c'est le fait d'etre sans enfants.
Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar, George Eliot, Jane Austen, Simone de Beauvoir, Artemisia Gentileschi, n'ont pas d'enfants. Et si par hasard elles en ont, elles ne s'en occupent pas (Suzanne Valadon), quelqu'un d'autre (une nourrice, une grand-mère) les élève.
Si d'aventure, par la force de la personnalité et du talent, elles parviennent à quelque notoriété, c'est avec bien plus de difficulté, d'adversité que les hommes, en moyenne. Parce que, je le répète, elles ne bénéficient pas de l'appui de réseaux, qui sont masculins.
Quand par extraordinaire elles en bénéficient, c'est parce qu'elles sont d'une manière ou d'une autre "cooptées" par un réseau masculin. En exemple représentatif: Colette. Une sorte de pute avec de la cervelle.
L'art se moque des statistiques, mais Olympe a raison d'attirer l'attention sur cette réalité du "marché" de l'art.
Les stéréotypes ont la vie dure, ceux qui préfèrent s'aveugler sont libres de le faire, sans mépriser les autres.
merci chère Olympe, de nous signaler, une fois encore, les injustices faites aux femmes, et la domination qui existe socialement dans le domaine de l'art (comme ailleurs). Pourtant, je noterai que l'envie que ça change ne vient pas nécessairement des femmes elles-mêmes... Ici, il est crucial de voir la relation faite entre création et procréation... car les femmes ont depuis toujours cette suprématie-là (celle de porter l'enfant), oui, elles ont dû la payer cher (claustrées, vendues, échangées, réduites au silence et cantonnées à la seule organisation de leur foyer). Je renvoie, bien sûr, aux travaux de Françoise Héritier.
Floréal note très justement que souvent les "créatrices" n'ont pas eu d'enfant, est-ce seulement parce que la "charge" d'un enfant, d'une famille, les empêche de s'investir socialement ? ou ne faudrait-il pas prendre en compte le fait qu'une femme ayant ce "pouvoir-là"... cette réalisation-là... estime que ça lui suffit... et ne se soucie pas de "créer" autrement ? Je constate que les choses ont l'air de changer, et Zemmour a bien compris où se situait l'enjeu, les hommes veulent aussi des joies de la "maternité"... de la féminité. Aujourd'hui (en Occident), ils peuvent "adopter" un enfant (s'ils sont célibataires), ou élever un enfant seuls. Certains appellent de leurs voeux la création de "l'utérus artificiel". Aujourd'hui l'homme peut (presque) et veut devenir l'égal de la femme biologiquement... il laissera un champ libre : celui de l'action sociale, celui de la création artistique, à nous femmes de l'investir (parallèlement à eux et égalitairement).
Vous avez vu la prochaine expo à Beaubourg ?
http://www.centrepompidou.fr/Pompid...
Loin de moi l'idée de réfuter en bloc l'argumentaire chiffré présenté ici (les chiffres du Kunst Kompass sont éloquents), mais je me permet une petite réserve quand aux chiffres concernant les collections publiques (hautement critiquable par bien d'autres aspects d'ailleurs mais ça n'est pas le propos). Effectivement, il me semble qu'il serait plus judicieux de recentrer l'analyse sur les achats d'oeuvres d'artistes vivants, car si l'on tient compte du fait que Beaubourg ou les FRAC acquièrent aussi des oeuvres d'artistes de la première moitié du 20ème siècle par exemple, il convient de se souvenir qu'à cette période la pratique artistique était encore plus largement qu'aujourd'hui réservée aux hommes. Il faut de même ne pas oublier qu'une grande partie des collections de ces institutions viennent de legs et dépots relativement anciens constitués eux aussi d'oeuvres de cette époque (des wagons de Picasso plus ou moins valables par exemple). Je serais curieux de savoir si, ramenés aux acquisitions d'oeuvres d'artistes vivants, ces chiffres resteraient les mêmes ou si, pour une fois, ils illustreraient une évolution rassurante.