Le droit de pisser est-il un droit de l'homme ?

L'expression "le droit de pisser" ou le "droit de se soulager" est de Julien Damon, sociologue, professeur associé à Sciences Po, dans un article de la très sérieuse revue Droit Social (2009).

Il y rappelle que l'installation de toilettes publiques, loin d'être une question marginale est au contraire un thème important de notre vie quotidienne. Et encore plus dans une société où les mobilités se multiplient, nous amenant à utiliser de plus en plus souvent des installations publiques.

Les conséquences dramatiques de l'absence de toilettes

Un million d’enfants meurent chaque année en raison de l'absence de connexion à un  réseau d’eau potable et d’assainissement. Outre la santé, l’absence de toilettes a des conséquences en matière de sécurité : femmes et enfants sont exposés au harcèlement ou aux agressions s’ils doivent sortir la nuit en quête d’un endroit isolé.

Cette problématique fait actuellement l'objet d'une vive polémique en Inde suite au viol et au meurtre de 2 jeunes filles de 12 et 14 ans qui étaient sorties de chez elles en pleine nuit en quête d'un endroit pour faire leurs besoins ne disposant pas de sanitaires chez elles. Une préoccupation que les femmes connaissent dans de nombreux pays, quelqu'un a même calculé que les femmes et les filles sans accès aux toilettes passent plus de temps à chercher un endroit approprié que le monde entier ne passe de temps sur youtube chaque année.

L'accès a des toilettes fait partie des engagements qu'a pris le nouveau premier ministre indien

(Toilettes dans un quartier populaire d'OSLO 1880/ norsk folke museum Oslo

Des toilettes publiques dans les villes

En Europe, jusqu'au début du 18eme siècle la saleté et les odeurs ne semblait pas rebuter les gens. Avec le développement des villes et l'apparition de préoccupations hygiénistes sont mis en place les premiers barils d'aisance, puis, à Paris, les colonnes contenant un urinoir. Uniquement destinés aux hommes.

Au 20eme siècles ces équipements, jouissant d'une fort mauvaise réputation, sont tombés en désuétude avant de renaitre sous la forme des sanisettes Decaux dans les années 1980. Mais, payant, ces équipements ne remplissaient pas correctement leurs fonctions. Le fait qu'ils soient payant est en effet source d'inégalité et interdit leur utilisation par ceux qui en auraient le plus besoin : les SDF. Par ailleurs, nombre d'hommes préféraient, plutôt que payer, continuer à se soulager contre les murs.

Empêcher les hommes de faire n'importe où reste une préoccupation importante. En Inde, à nouveau, certains activistes n'hésitent pas à utiliser le karcher pour les en dissuader. En France, les règlements sanitaires départementaux, ainsi que le Code pénal permettent d'infliger des amendes aux personnes coupables d'exhibitions impudiques, d'offenses à la pudeur ou du « simple manque de précaution pris pour uriner sur la voie publique »

Depuis 2006 les sanisettes sont gratuites à Paris et c'est une bonne chose, mais elles restent très insuffisantes. Julien Damon suggère, entre autres pistes, de subventionner bars, cafés et fastfood qui s'engageraient en contrepartie à offrir à tous, et pas seulement leurs clients, des toilettes publiques gratuites et propres.

L'inégalité hommes/femmes

Il reste cependant une inégalité manifeste, que nous pouvons tous constater quasi quotidiennement c'est celle de l'inégalité d'accès entre les hommes et les femmes. Des normes égalitaires, qui affectent le même nombre de toilettes aux uns et aux autres aboutissent à des temps d'attentes très différents.

D'une part les femmes passeraient 2,3 fois plus de temps aux toilettes, et d'autres part les hommes disposent d'urinoirs qui permettent d'agir plus vite.

2 solutions peuvent être envisagées. La première consiste à laisser davantage de place pour les toilettes femmes. C'est ce ce qu'ont fait certaines universités Nord Américaines qui, sous la pression des étudiantes, et par crainte de procès pour discrimination, ont opté pour un ratio de deux toilettes femmes pour 1 hommes.

Une autre solution pourrait être de ne plus séparer les toilettes des hommes et des femmes. Il semblerait que la justification de cette séparation vienne à l'origine d'un souci de protéger les femmes pour leur éviter d'être agressées ou harcelées (le même sujet qu'en Inde de nos jours). 

Une autre raison est hygiénique, le fait d'uriner debout salit la lunette des toilettes,quelle que soit la technique utilisée. Des toilettes communes impliquent donc que tout le monde s'asseoit. D'après Julien Damon, dans les pays nordiques hommes et femmes sont conduits à se comporter de la même façon.

Cela ne présente pas de danger pour la santé !

Quelques articles sur un sujet qui ne date pas d'hier mais à propos duquel on ne voit pas d'évolutions : Pour une parité des WC 2011, billet de Philippe Fremaux (2003) Pour la parité dans les toilettes

Commentaires

1. Le 04/09/2014, 23:27 par Apolline

On ne peut comparer ce qui se fait chez nous ou aux USA, avec les solutions trouvées dans les démocraties du Nord qui sont très peu peuplées par rapport à nous.
En Norvège, tout le monde se connaît, il y a un respect d'autrui qui est plus difficile à obtenir dans une société de masse.
Amitiés

2. Le 05/09/2014, 08:11 par Aya

Je doute qu'en Norvège "tout le monde" se connaisse ;). Mais il y a certainement un regard sur le corps qui est bien différent de chez nous dans les pays scandinaves.
Après je pense juste que la taille du pays conduit à plus d'inertie, mais en éduquant un peu les petits garçons à faire pipi assis, il est assez simple de remédier à ces soucis finalement.

En tout cas merci pour cet article, c'est un sujet qui peut sembler trivial mais qui se révèle assez complexe mine de rien !

3. Le 05/09/2014, 12:33 par Carla

Pisser n'est pas un droit, c'est une fonction biologique, avec une plus grande facilité à s'accomplir chez l'homme du fait de sa morphologie. Quand il s'agit d'expulser les excrements, hommes et femmes sont alors à égalité, et j'ai vu, pas plus tard qu'avant-hier, un homme déféquer sur un coin de trottoir en pleine ville, faute de toilettes publiques. Il faut en effet constater qu'en dehors des zones touristiques les toilettes publiques sont d'une extrème rareté en France, et quand il y en a, leur propreté laisse souvent à désirer. Lors d'un voyage au Costa Rica il y a 3 ans, j'ai eu par contre la très agréable surprise de trouver, régulièrement, et même dans la jungle d'un parc naturel, des toilettes, propres, systématiquement équipées de papier, et de lavabos et de savon pour se laver les mains. Plus que ne proposent nos aires d'autoroute ! L'accès aux toilettes et à la propreté est donc une question de volonté politique, et nous devrions plus souvent interpeler nos élus à ce sujet.

4. Le 05/09/2014, 15:08 par Auxi

Et que dire des transports en commun ? Le métro transporte des millions de personnes tous les jours, et pas l'ombre d'un sanitaire ! De la même façon, les trains ne sont plus équipés… Hommes ou femmes, c'est la même galère quand on est pris d'un besoin naturel pressant !