Camilla Jordana ou l'ère des perroquets
Par Olympe le 04/02/2021, 15:20 - Lien permanent
Une chanteuse qui sort un nouveau disque cherche à faire parler d'elle. C'est bien normal. Et pour faire parler d'elle quoi de mieux que surfer sur la vague féministe ? Mais le créneau est déja saturé, pour émerger il lui faut donc paraitre plus féministe que la dernière féministe qui a parlé, ou s'attaquer à des monstres sacrés.
Camilla Jordana aurait donc dit au journaliste de Paris Match (je mets le conditionnel car elle s'est défendue depuis d'avoir tenu ces propos) en parlant de Catherine Deneuve, Jane Birkin et Brigitte Bardot.
"Elles n’étaient pas le symbole du féminisme. Elles incarnaient LA femme parce qu’elles étaient des muses, l’anti-féminisme par excellence. Elles ont aussi vécu avec l’idée que se prendre une main au cul était quelque chose de normal, voire de “sympathique”. Tout est là… Il y a encore des mecs qui pensent que, parce qu’ils sexualisent une femme, elle doit se sentir flattée. Le regard de l’homme est censé être la seule chose après laquelle elle court…"
Ce disant elle commet plusieurs erreurs :
Une erreur de raisonnement
Une erreur de raisonnement car on ne peut pas juger des faits d'il y a 50 ou 60 ans avec les lunettes d'aujourd'hui. On peut les disséquer, les analyser et chercher à comprendre en quoi ils ont influencé la pensée de leurs contemporains et peut-être la nôtre, mais on ne peut pas juger leurs auteurs avec les outils d'aujourd'hui. Sinon on peut d'ores et déja mettre toute la littérature, depuis que l'écriture existe, et tout le cinéma, au pilon pour cause de sexisme. Ce qui est intéressant c'est d'analyser en quoi ces oeuvres contribuent à façonner et maintenir le sexisme des sociétés, pas de faire table rase du passé.
On ne peut donc pas reprocher à Catherine Deneuve, Jane Birkin ou Brigitte Bardot d'avoir vécu avec l'idée que "se prendre une main au cul était quelque chose de normal". Je parierais bien qu'avant #meetoo Camilla Jordana n'avait pas particulièrement agi pour que cela change, et que si elle ne considérait certainement pas que se prendre une main au cul était normal, elle se résignait à ce que ce soit inévitable. D'ailleurs, si j'en juge d'après la photo trouvée sur le web, elle n'a pas toujours resisté aux regards sexualisant.
Une erreur sur les faits.
Concernant les faits elle se trompe : Certes Jane Birkin était la muse de Gainsbourg, Brigitte Bardot l'a d'ailleurs été auparavant et c'est pour elle qu'il a écrit "je t'aime moi non plus" mais on ne peut pas dire qu'elle se contentait de se laisser regarder quant on connait leur histoire. Enfin, je ne vois pas de qui Catherine Deneuve aurait été la muse. Elle a menée sa propre carrière de façon autonome.
Une imprécision de vocabulaire
Qu'est ce qu'être féministe ?
D'après l'introduction d'un Que sais-je ? sur ce sujet
"Le mot « féminisme » est entré dans la langue française à partir de 1837. Le Dictionnaire Robert le définit comme « une doctrine qui préconise l’extension des droits, du rôle de la femme dans la société » Mais on ne peut séparer la pensée de l’action. Depuis que le concept a été forgé en France, la doctrine s’est accompagnée d’actions multiples pour élargir les droits et le rôle des femmes dans la société. C’est pourquoi la définition du féminisme devrait aussi inclure les pratiques et non seulement la doctrine."
On est donc féministe si l'on considère que les femmes doivent avoir les mêmes droits et même possibilités que les hommes. En France, la majorité des gens sont d'accord avec ça, mais on réserve souvent le qualificatif de féministes aux personnes militantes. Toutes les fois où une femme dit, et cela arrive souvent, "bien sûr que je suis pour l'égalité ... mais je ne suis pas féministe" elle signifie, non pas qu'elle n'a pas une vision féministe mais qu'elle ne veut pas militer. La raison en étant généralement que les modes de militantismes en vigueur ne lui conviennent pas.
Dire que Catherine Deneuve ou Brigitte Bardot ne sont pas féministes c'est s'arrêter à ce qu'elles ont dit du militantisme féministe, avec lequel elles ont clairement pris leurs distances On ne peut rien en conclure sur leurs opinions féministes, et encore moins qu'elles ne sont pas des symboles du féminisme. Personnellement, j'y reviendrai, je considère Brigitte Bardot comme une icône en la matière.
Toutes les 2 ont effectivement tenu des propos anti-féministes.
On peut regretter que Catherine Deneuve se soit associée à une tribune "pour la liberté d'importuner" et surtout qu'elle ait vivement défendu Polanski .
Sans l'excuser, on peut prendre en compte que si elle est tellement attachée à la liberté sexuelle c'est qu'elle a connu une époque ou toutes relations sexuelles étaient interdites en dehors du mariage pour les femmes. Une époque où celles qui transgressaient, et surtout celles qui tombaient enceintes (sans possibilité de contraception ou d'IVG), étaient mises au ban. Une fille-mère était une honte dans une famille.
On peut regretter que Brigitte Bardot ait déclaré en 2018. "on n’a plus le droit de leur dire qu’elles sont belles, de leur mettre la main sur les fesses, on est tout de suite envoyé au tribunal comme harceleur. Je trouvais adorable quand on me disait que j’avais un joli cul. J’allais pas porter plainte pour ça. Les mecs, ils ne vont plus avoir envie de faire la cour aux filles. Evidemment, je ne parle pas des excès, de la violence.”
On peut aussi regretter d'autres propos qui l'ont conduite à des condamnations par les tribunaux.
mais leurs actes plaident pour elles
Catherine Deneuve a signé en 1971 le Manifeste de 343 femmes qui déclaraient "je me suis fait avorter". A l'époque c'était pénalement répréhensible et les signataires risquaient la prison.
Elle s'est à plusieurs reprise expliquée sur le fait qu'elle n'avait jamais adhéré à aucun groupe féministe, parce que d'une part, ayant eu un enfant très jeune et une carrière bien remplie elle n'avait pas le temps, parce que d'autre part elle a toujours craint la perte des libertés et de s'enfermer dans un carcan. Mais personne ne peut douter qu'elle a des opinions féministes et qu'elle a contribué à faire avancer les choses .
On peut rappeler à Mme Jordana que dans les années 60 cette égalité n'était pas acquise et que les femmes commencaient tout à juste à quitter le foyer auquel elles avaient été assignées. Elle même bénéficie aujourd'hui de ces acquis.
Quand à Brigitte Bardot je vous remets le lien vers ce long podcast qui retrace sa vie. Dans les faits, par sa personnalité, par ses choix de vie elle a contribué à changer le regard des femmes sur elles-mêmes. A l'inverse du propos de Camilla Jordana "Le regard de l’homme est censé être la seule chose après laquelle elle court…" elle est celle qui a révélé aux femmes qu'elles pouvaient être désirées, mais aussi désirantes, que si les hommes pouvaient admirer leur corps et le "posséder" elles en restaient les seules propriétaires. Pour les mains au cul je ne sais pas, mais elle n'a pas hésité à gifler Clouzot qui la maltraitait lors du tournage de La Vérité.
Elle est celle qui a fait scandale en racontant qu'elle n'avait pas souhaité être mère, qu'elle n'avait jamais ressenti d'amour maternel et que si elle n'avait pas avorté c'est parce qu'elle n'avait trouvé aucun médecin, ni en France ni à l'étranger, acceptant de prendre le risque pénal d'avorter une telle célébrité.
Par la suite elle a choisi son chemin, n'a pas hésité à tout quitter pour faire ce qui avait pour elle du sens : se consacrer à la cause animale. Toutes ses décisions elle les a prises seules, maîtresse de sa barque.
Alors on peut regretter certaines de leurs paroles, mais avant de dire qu'elles sont "l'anti-féminisme par excellence "on doit regarder leurs actes et leurs parcours et s'en inspirer.
J'ai bien peur que de Camilla Jordana il ne reste que les paroles