
Cette histoire de ligue du

me parait
la preuve qu'on est collectivement en train de devenir fous. Il devient plus
qu'urgent de définir des modalités pour nos rapports sociaux qui tiennent
compte de l'importance qu'ont pris les réseaux sociaux dans nos vies.
Cet évènement, qui est loin d'être anodin, et qui fait écho à d'autres
évènements de l'actualité de ce week-end, est, comme l'on noté de nombreux
articles, un reflet de ce qui se passe depuis toujours dans la société : les
phénomènes de harcèlement, de meutes et de boys band ne datent pas d'hier. Mais
ce qui restait auparavant circonscrit dans un périmètre fermé peut désormais
faire le tour du monde en quelques minutes et toucher des personnes qui n'en
aurait jamais entendu parler auparavant.
Et les analyses qui ne font pas l'effort de sérier les problèmes ne font
qu'ajouter à la confusion.
Avant de commencer je peux dire que j'étais déja sur twitter en 2009, pas ou
peu sur facebook par contre. A cette époque twitter était l'endroit ou se
rencontraient les initiés : journalistes, blogueurs, spécialistes du web et
quelques marketeurs. J'y ai passé de nombreuses soirées et ce dont je me
souviens c'est qu'on rigolait vraiment. Je m'y suis fait beaucoup d'ami-e-s que
j'ai fini par rencontrer en vrai et qui le sont restés.
Je ne peux pas dire que j'ai été victime de harcèlement. Je ne suis pas de
la même génération, je ne cherchais pas à me placer ni à trouver du travail.
Mais j'ai quand même eu quelques soucis. Notamment avec quelqu'un dont j'ai vu
passer le nom ces derniers jours et qui aurait fait l'objet de plaintes. A
l'époque ma principale peur, et donc mon talon d'Achille, était que mon
identité ne soit découverte. Je passais déja pour la féministe de service dans
mon milieu professionnel et je craignais que la tenue d'un blog ne me fasse
définitivement basculer dans la catégorie "hystérique revancharde". Peur
parfaitement infondée d'ailleurs car lorsque je suis sortie de l'anonymat, au
moment de la parution de mon livre, c'est exactement l'inverse qui s'est passé.
J'y ai plutôt gagné en légitimité. Bref, lorsque ce blogueur connu a pris la
peine de me consacrer 2 ou 3 billets de suite j'ai fait le dos rond, craignant
qu'il ne dévoile mon nom, facile à trouver je suppose pour quelqu'un de motivé,
et je l'ai banni de mon fil twitter. Aujourd'hui encore je défollowe
systématiquement les personnes qui le retweetent régulièrement. Il avait
donc disparu de mon paysage, et moi du sien. A l'époque les seules à avoir
embrayé, visiblement dans le but de fayoter auprès de lui, étaient des
femmes.
Quels sont donc les phénomènes en jeu dans cette histoire ?
Le harcèlement
On parle beaucoup du harcèlement scolaire, mais également du harcèlement
dans le cadre professionnel.
On sait que :
- les garçons harcèlent plus que les filles, ils harcèlent des filles et des
garçons.
- les filles harcèlent surtout des filles. De fait les filles sont donc plus
souvent victimes de harcèlement que les garçons
- les comportements de harcèlement diminuent avec l'âge
On sait que le harcèlement a à voir avec les système de domination, que les
harceleurs s'attaquent à ceux qu'ils perçoivent comme "harcelables" c'est à
dire le plus souvent des personnes qui présentent une caractéristiques
permettant de les désigner comme "différentes" et, par là, de créer autour
d'eux la communauté de ceux qui sont "normaux". Il s'agit pour le
harceleur d'asseoir son positionnement, au détriment de sa victime.
Bien évidemment, dans une société machiste, où les hommes sont habitués à
se sentir supérieurs aux femmes, ils peuvent trouver du bénéfice à se comporter
ainsi. C'est ce qui est décrit comme le phénomène des boy's club. La
sociabilité des hommes est, bien davantage que celle des femmes, construites
sur la base de groupes assez homogènes (qui se ressemble s'assemble) mais
néanmoins hiérarchisés.
Mais dire, comme je l'ai lu à maintes reprises que le harcèlement est
systémique et que tous les hommes sont des harceleurs cela revient à dédouaner
ceux qui le sont. Or, et c'est également vrai dans les établissements
scolaires, tous ne harcèlent pas, heureusement, car ce n'est pas parce que
l'organisation sociale induit certains types de comportements que tous s'y
adonnent.
Je connais mon Bourdieu sur le bout des doigts, mais il y a un moment où
il faut sortir du déterminisme social pour interroger la responsabilité des
gens. On sait aujourd'hui que la fameuse expérience de Stanford qui démontrait
que n'importe quel gentil étudiant se transformait en tortionnaire pour
peu que le contexte s'y prête a été menée sans aucune rigueur scientifique et
ne peut plus être invoquée comme explication.
L' effet de meute
Les humains étant des animaux sociaux, être à l'intérieur ou à l'extérieur
d'un groupe constitue un enjeu important. La ligue du

semblait
un groupe valorisant, permettant même, si j'ai bien

compris, de se placer au sein de
grandes réactions. Mais pour faire partie d'un groupe, il faut en épouser les
normes et s'y comporter de la façon attendue. Cela semblait d'autant plus
facile dans ce cas qu'il s'agissait de faire de bonnes blagues. L'effet de
groupe constitue un accélérateur naturel :
- pour en faire partie il faut faire ce que le groupe attend
- comme tous les autres le font cela semble normal.
- pour se distinguer, faire figure de leader il faut en faire un peu
plus
- etc, etc
Il est bien évident que les réseaux sociaux démultiplient ces effets, par
le nombre de personnes potentiellement touchées, mais aussi par la facilité de
l'action. Ce n'est pas la même chose d'écrire 140 caractères, tout seul face à
son écran, que d'insulter une personne face à face.
Mais là encore il convient de graduer, entre ceux qui se revendiquent comme
leader, et les cercles concentriques qui gravitent autour : ceux qui
participent activement en espérant en tirer un bénéfice, ceux qui soutiennent,
en ricanant, ceux qui soutiennent passivement, ceux qui se taisent parce qu'ils
craignent de se retrouver à leur tour harcelés, ceux qui tentent de réagir et
enfin ceux qui ne se rendent pas compte.
Il est édifiant de lire les excuses de tous ces journalistes brillants, bien
éduqués, qui ne sont plus des ados immatures (à moins que...) car
"ils ne se rendaient pas compte de la souffrance de leurs victimes".
Ils n'ont donc jamais appris à prêter attention aux autres ?
Choisir le camp du bien
Dans la culture judeo chrétienne le monde est divisé entre le Bien et le
Mal, Dieu et le Diable et chaque acte doit pouvoir être rangé d'un coté ou de
l'autre.
Bien entendu chacun prétend se trouver du coté du Bien. La principale
fonction de twitter, qui rend ce lieu désormais tellement pénible , semble être
d'organiser les batailles. Chaque camp cherche à se compter, à impressionner
l'autre par sa puissance et doit convaincre les spectateurs (nombreux sur
twitter où très peu de gens sont en réalité actifs) du bien fondé de sa
position.
Le problème étant que le Bien varie souvent en fonction du vent, et que ce
qui vous classe aujourd'hui dans le bon camp peut très bien basculer demain.
Les aventures de la ligue du
en sont un exemple parfait.
A cela s'ajoute quelque chose qui est
propre à notre époque : la valorisation du statut de victime. Il suffirait de
démontrer que l'on est victime de quelque chose, ou de quelqu'un pour se
retrouver de facto dans le camp du Bien. Comme si le monde était simple et
binaire. Les fonctionnement de types victimes/persécuteurs/sauveurs sont
pourtant bien connus et qui est victime aujourd'hui peut se retrouver
persécuteur demain, indéfiniment, en un mouvement de balancier infernal. Les
tombereaux de boues déversés depuis 2 semaines sur les membres de la ligue du
ne tarderont probablement pas à les faire apparaitre à leur tour comme des
victimes. Le web est plein d'histoires de ce type.
Tout se passe comme si les réseaux sociaux étaient érigés en tribunaux et se
chargeaient de dire qui est coupable, innocent, qui doit être condamné et de
quelle peine.
Espérons que tout ne soit pas prescrit et que de véritables procés, pourront
se tenir. Les coupables et les victimes y ont droit.
Mais le pire ne serait il pas les décisions prises par les médias, qui ont
mis à pied, sans autre forme de procès des journalistes ? Terrorisés de se
retrouver à leur tour classés dans le camp du mal. Ils ont ainsi contribué à
justifier les accusations et a es désigner à la vindicte populaire.
D'autant plus que l'amalgame a été fait avec une autre affaire :
le Huffington post a licencié des journalistes pour avoir
insulté des collégues. Dans les 2 cas on retrouve du harcèlement d'hommes
journalistes envers des femmes. Mais le Huffington a, en tant qu'employeur, une
responsabilité envers ses salariés et doit veiller à contrôler les risques
psychosociaux. Très différent donc.
Tout cela m'aura au moins permis de découvrir que Laurent Joffrin qui se sent meurtri , était au
fond un grand féministe !