Je suis un peu agacée de lire à tout bout de champ que les règles sont un
sujet tabou, sous entendu "Il n'y a que nous qui osons vous en parler
vraiment".
En réalité, vous l'avez probablement remarqué autant que moi, le sujet des
règles marche bien sur le web. Les articles qui en parlent doivent certainement
faire beaucoup de clics, mais, la vraie raison est que les produits d'hygiène
féminine représentent un enjeu économique de 423 millions d'Euros
D'où l'intérêt du sujet ! D'autant plus que c'est un marché qui perd
mécaniquement chaque année des consommatrices en raison du vieillissement de la
population. Fort heureusement pour les marques, le marché de l'incontinence
prend le relais, mais c'est un autre sujet.
Parmi les stratégies marketing il y a le développement du protège slip, qui
s'utilise hors périodes de règles et surtout la communication en direction des
très jeunes filles, communication qui passe par les réseaux sociaux et des
campagnes qui essaient d'être virales. D'autant plus que, je l'ai appris en
écrivant ce billet, "les plus jeunes consomment davantage de serviettes
“maxi” pour s’assurer d’être bien protégées. Cette génération n’a pas connu les
inconvénients des serviettes épaisses et le confort apporté par les serviettes
ultra-fines. Il faut donc les rassurer sur le fait qu’elles sont bien protégées
avec des serviettes fines".
C'est bien à elles que s'adresse Always, avec ses
super vidéos sur ce que signifie être une
fille. Il n'y est pas question de produits, il faut juste que les
consommatrices entendent et retiennent le nom de la marque. On en redemande ,
et elles ont réellement bien buzzé.
Idem pour celle-ci sur une jeune fille qui fête ses premières
règles ou découvre le sujet en colonie de vacances (2eme
vidéo du même article).
Outre la concurrence que se font entre elles les marques, il y a la
concurrence que l'on pourrait qualifier d'alternative. En effet, les
femmes peuvent adopter d'autres solutions .
La coupe menstruelle,
Peu d'inconvénients, peu chère elle a pourtant du mal à s'imposer.
Rue89 s'était demandé pourquoi elle n'était
pas vendue en supermarché. Concurrence trop vive, vu que son prix est dérisoire
comparé à ce que coutent tampons et serviettes ?
Le free flow instinct
ll existe un mouvement pour la suppression de toute protection et le
contrôle du flux sanguin par la
femme. Ca semble quand même assez difficile à
gérer mais je suis toute prête à croire que c'est possible. Ce qui me
frappe c'est que l'on a pas tardé à voir des articles pseudoscientifiques
expliquer combien cela pouvait être grave. Grave parce qu'il s'agirait d'une
contrainte supplémentaire pour les femmes (argument ressorti chaque fois que
des femmes veulent se débrouiller seules) et surtout ce serait dangereux !
La suppression des règles
Rien de plus facile de nos jours, avec un DIU (dispositif intra utérien), un
implant ou en adaptant la prise de pilule. Mais là encore les articles sur le
sujet nous mettent en garde contre les risques de cancer et de thrombose qui en
découleraient. Une gynécologue a pris sa plume pour rétablir la
vérité, ce n'est pas dangereux.
A mon avis le problème vient aussi de la façon dont les choses sont
présentées. Quand un article est titré "Elles arrêtent leurs règles pour améliorer leur vie
professionnelle" il sous entend une sorte d'incompatibilité entre
les 2. D'un coté le biologique (fatalité !) et de l'autre la vie
professionnelle. Alors qu'il n'y a en réalité aucun antagonisme. Avoir ses
règles n'empêche pas la vie professionnelle, mais avoir envie de vivre plus
confortablement cette période est un souhait facile à satisfaire, qui ne mérite
guère plus d'attention que vouloir prendre un café pour être mieux réveillé,
prendre un aspirine parce qu'on a un léger mal de tête ou acheter des pantalons
en lycra parce qu'ils permettent d'être plus libre dans ses mouvements.
Des vidéos virales et commerciales ?
La plupart des vidéos ou articles sur le sujet insistent sur le fait que les
règles sont un tabou dont on ne parle pas, mais que "ce n'est pas sale" et
qu'il faut briser ce tabou.
Une campagne (vidéo) de
l'association PlanUK proposant de poster sur twitter une photo de soi avec un
tampon avec #justatampon. Il s'agissait de montrer que "c'est un produit du
quotidien banal" mais surtout d'envoyer un texto à 3£. L'argent récolté devant
servir à l'achat de serviettes hygiéniques en Ouganda.
Une vidéo virale "Quand les hommes
rencontrent un tampon. Pour briser le tabou des règles". Des hommes sont
censés essayer de comprendre pour la première fois de leur vie comment
fonctionne un tampon à applicateur. Je ne sais pas où ils les ont trouvés mais
ces hommes ne sont jamais entrés dans la salle de bain d'un appartement
ou vit une femme. Ils n'ont pas de soeurs, de mères ou d'amies ? Je ferai bien
l'hypothèse qu'il s'agit plutôt d'une pub déguisée pour montrer les nouveaux
applicateurs en plastique et leur capacité d'absorption encore plus performante
(oh my God ! comme ils disent tous). Car si vous avez lu les premiers articles
que j'ai mis en liens vous avez compris que le remplacement des applicateurs en
carton fait partie des stratégies marketing.
Les règles sont elles encore un sujet tabou ?
Montrer les fluides corporelles ?
Certes on peut reprocher aux campagnes de publicité pour les protections
hygiéniques de préférer filmer des liquides bleuatres plutôt que du sang, mais
il est bien rare que les fluides corporelles, quels qu'ils soient, soient
montrés. Avez vous déja vu des filets de morves dans les pubs pour des
mouchoirs ? des préservatifs pleins ? Quand aux déodorants il y a longtemps
qu'ils ne montrent plus les auréoles sous les aisselles.
Je ne suis pas sûre que le traitement des règles soit très différent de ce
point de vue.
Vous pouvez cependant lire
ce billet d'une artiste qui a réalisé des
photos de taches de sang sur ses vêtements Elle a constaté que les gens"
sont outrés quand quelqu'un parle ouvertement de saignements provenant
d'une partie de notre anatomie censée nous appartenir" alors que, d'après
elle "
La même comparaison peut être faite entre les excréments et l'urine,
à la seule différence que ces deux substances n'ont pas la même influence
négative sur nos vies sexuelles que les règles. On ne nous dit pas qu'on est
malade. On ne nous dit pas qu'on est sale. Ça ne nous empêche pas de sortir de
chez nous, d'aller à l'école ou de nous rendre dans notre lieu de culte. Ces
excrétions ne nous remplissent pas de honte ou de peur à chaque fois que nous
nous levons de notre chaise en nous demandant si ça fuit, et si c'est le cas,
comment les personnes aux alentours nous percevront." Son argument
est tout à fait fallacieux, puisque les adultes en bonne santé ne craignent
habituellement pas en se levant d'une chaise de l'avoir tachée d'urine ou de
selles et si c'est le cas je doute qu'ils ne s'en inquiètent pas.
Mais il est vrai que la peur d'une fuite et d'une tache de sang sur
ses vêtements est beaucoup plus stressante que le non évènement qu'elle
représente en réalité.
Les règles preuves d'impureté ?
Une autre artiste a réalisé des photos qui reprennent des expressions
utilisées pour désigner les règles. (C'est de là que vient celle qui illustre
ce billet). Voici ce qu'elle en dit "les règles sont aujourd'hui un espace
très secret dans lequel peuvent se développer des angoisses et des difficultés.
L'origine de cette problématique est largement liée aux aux lois religieuses.
Dans l’Ancien Testament, le Lévitique pose la loi de l’impureté féminine. La
femme réglée doit être mise à l’écart et ne doit souiller ni l’homme, ni son
environnement. Ce texte fait partie des bases de notre civilisation.".
L'idée que nous pouvons faire tourner une mayonnaise stagne peut être encore
dans notre inconscient collectif, comme le prouvait en 2010 ce billet, d'une française qui s'était demandé si
elle pouvait entrer dans un temple interdit aux femmes ayant leurs menstrues au
motif qu'elles sont impures.
Les règles preuves de notre fragilité ?
Et même si aujourd'hui les jeunes filles sont correctement informées, qu'on
ne les empêche plus de prendre une douche, d'aller à la piscine ou de faire une
mayonnaise, le discours dominant dans les médias, celui auquel il faut prêter
attention est celui qui tend, justement, à présenter les règles comme un
problème général des femmes qu'il faudrait mieux prendre en compte.
2 choses invitent à la méfiance :
1/ pour la plupart des femmes, et le plus souvent (car cela
peut varier au cours d'une vie) il n'y a pas de problème. Elles gèrent les
désagréments et cela ne les limite en rien. Exit le discours qui tend à
protéger les femmes contre leurs sautes d'humeur ou leur état de faiblesse
périodique. Nous ne sommes pas de petites choses fragiles parceque nous perdons
ainsi du sang.
Je remets d'ailleurs le lien vers
ce billet (en anglais) qui explique que si les hommes avaient
leurs règles, mais pas les femmes, on ne manquerait pas de considérer cela
comme une preuve qu'ils peuvent seuls exercer certaines fonctions. Comment en
effet pouvoir être soldat, politicien, dirigeant sans être habitué à verser son
sang tous les mois, sans avoir prouvé que l'on était capable de résister à
cette blessure majeure ? Ce serait également une preuve de pureté
puisqu'ainsi le sang est renouvellé régulièrement, et on se demanderait même
comment avoir le sens de l'espace, du temps et des mathématiques sans ce don
qui permet de connaitre le rythme de l'Univers.
2/ les vraies souffrances, celles qui méritent d'être
prise en charge, et pour commencer d'être prises en considération, sont noyées
dans le magma "des trucs de femmes", des "c'est normal d'avoir mal ç'est le lot
de toutes les femmes" etc. C'est ainsi que l'on commence tout juste à entendre
parler d'une maladie difficile comme l'endométriose (mais il y en a d'autres)
qui semblait se réduire il y a encore peu à des règles plus abondantes et
longues et des douleurs plus importantes. Je vous conseille le billet
de
Chouyo sur ce sujet.