Cette histoire a pris des proportions telles que je ne voyais plus l'intérêt
d'en parler. Mais je viens d'apprendre que ce grand artiste se
produira bien au Printemps de Bourges au motif qu'en le déprogrammant , le
Printemps de Bourges "ferait un acte de censure et de sanction vis-à-vis d'un
artiste, qui plus est pour des actes ou textes qui sont étrangers au
festival".
Cela m'incite à revenir sur cet évènement instructif à bien des égards.
Pour un historique précis vous pouvez vous référer aux blogs d'Emelire ou Kokolat
qui suivent ce sujet au jour le jour et recommandent les actions à mener.
Je pense que c'est désormais à la justice de se prononcer et je souscris à
ce qu'en dit Isabelle
Alonso sur son blog "Une fois encore, certain-e-s ont l’indignation
sélective. Soit l’incitation à la haine n’existe pas, et il faut abroger tous
les textes de loi qui y font allusion. Soit elle s’applique aussi pour les
femmes qui sont, au cas où d’aucuns persisteraient à faire semblant de
l’ignorer, l’objet d’une violence quotidienne et gravissime. Le reste n’est que
gesticulation."
Ce que j'ai appris :
La puissance et la fulgurance d'un buzz
J'espère qu'Alain Minc a suivi, lui qui se demande en quoi des blogueurs qui
n'ont même pas plusieurs milliers de visiteurs par jour peuvent avoir de
l'influence.
Intéressant de comprendre comment une poignée de blogueuses, dont le poids
cumulé doit être inférieur à 5 000 visites quotidiennes ont réussi à faire
réagir les médias, puis les associations, puis des ministres, une assemblée
régionale pour que finalement le sujet soit abordé à l'assemblée nationale.
Orelsan a accusé "l'association des blogueuses", preuve qu'il ne connait pas
grand chose au fonctionnement de la blogosphère. D'association de blogueuses il
n'y a pas eu. De buzz oui par contre. L'affaire semble être partie de Kokolat
qui en parlait dès le début du mois sur son blog. Quand j'en ai eu
connaissance, via le blog d'Emelire elle avait déja été reprise par une dizaine
de blogueuses et à continué à l'être dans les 2 jours qui ont suivi. La plupart
de ces femmes ne sont pas comme moi des féministes hystériques, mais elles ont
été suffisamment touchées pour reprendre l'info sur leurs blogs, blogs qui pour
la plupart n'évoquent habituellement pas des sujets politiques. Les
commentaires sous ces billets étaient (et sont toujours) nombreux et montraient
que les lectrices (essentiellement) étaient décidées à écrire aux différentes
adresses citées.
Les tergiversations du gouvernement
Très rapidement plusieurs ministres se sont exprimées pour dénoncer cette
chanson, demandant à ce qu'elle soit enlevée des plate-forme youtube et
dailymotion (avec un succès limité puisque ces vidéos ont seulement vu leur
accès limité pour les mineurs) et en appelant à la responsabilité des
organisateurs du festival de Bourges.
Valérie Létard à
l'Assemblée nationale a déclaré qu'elle demandait à la justice d'instruire
cette affaire et d'examiner dans quelles conditions des suites judiciaires
pouvaient être engagées dans ce dossier. L'objectif étant de réunir tous les
éléments permettant de saisir le procureur. Mais si je comprends bien ses
propos il s'agit d'obliger les plate forme internet à enlever ces vidéos.
Elle a par ailleurs déclaré qu'elle soutenait l’initiative des associations
ayant fait savoir qu’elles souhaitaient se constituer partie civile et porter
plainte contre le rappeur.
Rien de plus pour l'instant de la part du gouvernement et de la justice,
pourtant les campagnes contre la violence faite aux femmes ont été déclarées
d'intérêt général pour 2009 par le premier ministre
On a aussi entendu le silence assourdissant de la Halde.
Les femmes sacrifiées sur l'autel de la liberté
d'expression
Là on a tout lu. J'ai été sensible à ce texte de Sylvie Tissot et Christine
Delphy mais que je sache Orelsan est normand de parents enseignants et ce n'est
pas parceque le rap est une musique des banlieues qu'il faut l'absoudre de
tout. Ce serait comme défendre l'excision ou la lapidation des femmes adultères
au motif qu'il s'agit de pratiques culturelles ancestrales. Et si personne n'a
rien dit contre Sardou qui chantait "J’ai envie de violer des femmes, De les
forcer à m’admirer" ou Johny "je l'aimais tellement que l'ai tuée " c'est que
l'époque n'était pas la même, la violence contre les femmes n'était pas une
cause nationale et dans les cafés on pouvait lire (les plus de 20 ans s'en
souviennent certainement) sur une assiette accrochée au mur "bat ta femme tous
les jours, si tu ne sais pas pourquoi elle le sait ".
On nous reproche de n'avoir jamais dénoncé d'autres chanteurs (je n'ose pas
dire artistes) comme
Didier Super dont la bonne blague ne me fait pas vraiment rire ou TTC que
je ne connais même pas. Effectivement il y aurait beaucoup à faire, mais les
blogueuses seraient-elles chargées de faire respecter la loi dans ce
pays ? Les associations qui défendent les femmes doivent-elles s'ériger en
observatrices attentives et lancer des campagnes d'alerte chaque fois qu'une
saloperie est mise sur youtube ? Mais ces chansons; des producteurs, des
maisons de disques les vendent (voir à ce sujet le
petit billet d'humeur d'Eric Dupin ), des festivals, des radios les
diffusent. Personne ne les écoute avant ? Personne n'est choqué ?
C'est en cela que l'on se rend compte que la violence contre les femmes reste
un phénomène bien banal et encore bien accepté par la société.
On nous reproche de vouloir tuer la liberté d'expression. Ecran un site de
libération trouve malin de
lister 6 chansons qui devraient être interdites (à cause de nous?). Je vous
laisse juge, mais je trouve tout à fait malhonnête d'appeler Brassens à la
rescousse. D'une part on ne fait pas parler les morts, d'autre part j'imagine
mal Brassens reprendre en refrain "Sale pute, sale pute.....", enfin parce
qu'il avait une autre conception des relations hommes/femmes et ne considérait
pas qu'une femme puisse être sa propriété.
Orelsan s'est fendu de quelques explications sur une pitoyable vidéo ou il
évoque un complot politique. On chercherait à faire de lui un bouc émissaire
dans le seul but de tuer la liberté sur internet. Il a même menacé de porter
plainte contre ceux(celles) qui appelleraient à le boycotter (girlcotter
plutôt). Il faut dire que certains médias lui tendent complaisamment leurs
micros.
Cette affaire est en train de prendre un tour exemplaire. On va savoir si ce
pays est VRAIMENT décidé à lutter contre les violences faites aux femmes ou
s'il va encore tolérer qu'on fasse de la description la plus abjecte de ce
qu'un homme trompé peut faire à une femme une oeuvre d'art. Si les médias vont
continuer à traiter Orelsan en artiste et l'argent public à financer ses
prestations.
Et tout simplement si les insultes sexistes et incitations à la haine sont
légales lorsqu'elles visent les femmes. Le ministère le rappelle pourtant sur
son site "En France, l’article 24 de la loi de la presse de 1881 prévoit
que toute incrimination de provocation à commettre un crime (viol ou meurtre)
ou une atteinte à l’intégrité de la personne ou une agression sexuelle par tous
moyens de diffusion est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros
d’amende"
voir aussi le billet de
Christine, celui de Kokolat qui donne le
texte d'autres chansons d'Orelsan tout aussi artistiques et qui elles figurent
sur son album ou celui de
du rose dans le gris